Synopsis

Frédi perd sa mère...

Cette dernière lui a transmis un don.
Il ne veut pas en entendre parler mais il est contraint, forcé de reconnaître que ses mains guérissent…
Il s’interroge.
D’où vient ce don ?
Qu’importe, il l’accepte…


Note d'Intention

Jeudi 29 novembre 2012, je retrouve José au Sélect. Il est 19h30, la nuit est tombée depuis longtemps, c’est l’hiver, il fait froid.

- Ça va ?

- Ça va.

- Ça n’a pas l’air.

- Si.

Le sourire de José me réchauffe, je retire ma vieille parka, dix ans que je la traîne. Depuis quelques années, je vois José régulièrement, il est journaliste, passionné de cinéma. Il est surtout devenu un ami.

- Si, ça va mieux. J’ai décidé d’arrêter, et depuis, ça va mieux. Je laisse passer les fêtes, il ne se passera rien pendant les fêtes, et je prends ma retraite. J’aurais pas une grosse retraite, tant pis… J’arrête et qu’on ne me parle plus jamais de cinéma. Finito ! terminarés !

- Arrête tes conneries.

- Non, je suis sérieux. J’aime beaucoup le cinéma, mais je n’y laisserai pas ma peau. Je descends dans le sud, je regarderai la mer et ça me fera du bien.

- Tu ne vas pas arrêter comme ça !

- Et pourquoi ?

- Parce que t’as des choses à dire.

- Arrête, tu parles comme un livre. Des choses à dire !... Tu veux que je te dise ? La dernière fois qu’une chaîne publique a mis de l’argent dans un de mes films, c’est en 2003. Ca va faire dix ans qu’on me refuse tout ! Je viens d’en prendre conscience cette semaine, les années ont passé, je ne m’en suis pas rendu compte. Dix ans ! C’est pas rien dix ans !... Regarde ta vie, remonte dix ans en arrière et tire un trait, poubelle, tu effaces ! Je ne suis pas resté sans rien faire, j’ai écrit huit, dix scénarios, j’ai eu des avances sur recettes, je les ai perdues. J’ai écrit quatre romans… Et maintenant, je suis sec, ils ont gagné, mais ils n’auront pas ma peau. En dix ans, j’ai réussi à faire deux films, Inguélézi, et Aide-toi le ciel t’aidera, avec l’avance sur recettes et Canal. Mais depuis 2007 chez Canal, c’est niet ! Je suis marqué au rouge. « Dupeyron, on aime beaucoup ce qu’il fait, mais pas ça. » C’est le refrain, dès que je l’entends, je crains la suite. Alors, puisqu’on ne veut plus de moi, je me tire. Et personne ne s’en apercevra parce que le monde n’a pas besoin de moi pour tourner, et c’est très bien comme ça.

- Mais ton projet, le type qui a un don ?

- J’ai l’avance, j’ai la région, et puis c’est tout. La 2, la 3, Arte, Canal, ont dit non. Je l’ai réécrit, représenté. Deux fois non. Orange me dit que peut-être si j’ai un distributeur… C’est bidon, je n’y crois pas, et de toute façon tous les distributeurs à qui on l’a présenté ont dit non.

- Avec Darroussin, Gadebois, Sallette ?

- Oui. Gadebois depuis septembre fait un carton au théâtre. Jean-Pierre est un immense acteur, il faut voir ce qu’il fait au théâtre aujourd’hui. Céline a fait lire le scénario à une jeune productrice – c’est pour te dire qu’elle est motivée – la productrice lui a envoyé le scénario à la gueule, « Qu’est-ce que c’est cette merde ? ». Comme ça… « Cette merde ! » T’imagines pas ce que je me prends dans la gueule. Tu veux que je te dise mon année ? Celle que je viens de passer ? Toute mon activité professionnelle ?... J’ai eu deux rendez-vous, dans la même semaine, avec deux producteurs, pour deux projets. Le mercredi avec l’un, pour l’histoire du type qui a un don. Il a relu le scénario et il a coché les gros mots. Oui, les gros mots !... Il a tourné les pages et il m’a demandé, « ça, on peut l’enlever ? » Oui… j’ai dit oui à tout. Des gros mots ! Comme si soudain avec l’andropause, je m’étais mis à écrire des gros mots. Je suis devenu incontinent, ça m’échappe… Tu trouves que dans mes films ça parle gras, ordurier, mal à propos ? Le lendemain, j’ai rendez-vous avec l’autre producteur, l’histoire du déserteur, en 14… Rebelote, il a tourné les pages lui aussi. « Ça, on peut l’enlever ? » Oui… encore les gros mots ! Un type qui boit du matin au soir, au front, en 14 !… Et tout ça parce que tu présentes un scénario à la 2 ou la 3 avec un gros mot qui traîne, oh malheur ! Tu dégages… Ils ont un tel pouvoir que règne une petite terreur. Voilà toute mon année. J’ai enlevé des gros mots. Dix ans qu’on me refuse tout et maintenant les gros mots… J’arrive à 62 ans pour enlever des gros mots ! Alors j’arrête, c’est plus pour moi… Je suis peut-être à côté de la plaque, mais je marche plus. Toutes ces dernières années, j’ai essayé un peu de comprendre, je me suis dit qu’ils avaient peut-être raison, que mes scénarios étaient trop ci, ça. J’ai essayé plusieurs styles, plusieurs genres. Et j’ai compris qu’il n’y a rien à comprendre. J’ai perdu mon temps. Depuis quelques années, la mode est aux fiches de lecture. Je ne sais pas qui lit, des jeunes gens sans doute, pas très bien payés. J’en ai demandé deux, pour deux scénarios, pour voir… Deux fois, j’ai eu droit à « Sujet non traité. » Je n’invente pas, « Sujet non traité ». Etait-ce le même lecteur ? Voilà où on en est. Tu ouvres le coffret des Césars, à part trois ou quatre films, tous les autres se ressemblent. Mais le sujet est traité. Merde, le cinéma, c’est pas ça ! C’est même tout le contraire…

- T’as pas le moral, ça va revenir.

- Non… je suis déconnecté, je ne suis plus en phase avec ce petit monde, ces gens, les producteurs à genoux, qui ont peur. On ne fait rien avec la peur, rien que de la merde. Moi, j’ai découvert la vie avec le cinéma, j’ai découvert les hommes, les femmes. J’entrais dans les films… comme j’entre ici pour te rencontrer, on se parle, je suis toi, tu es moi, ça circule… C’est pas cet infantilisme ! Sujet non traité ! Les gros mots ! Les gros mots ! Tu sais ce qui m’est venu en écoutant Forman parler du cinéma tchèque des années soixante ? Eh bien, on y est en plein. Regarde le bonus de Au Feu Les Pompiers, il parle de notre cinéma. Tu remplaces le Parti par la Télé, et c’est bon. On est dans un système soviétique, la Télé dit oui, tu fais le film, elle dit non… tu peux aller te coucher, va crever la gueule ouverte. C’est ça qui m’arrive, je suis en train de crever… Parce que j’en crève de ne pas faire de film, et pas que financièrement … J’en crève parce que c’est ça qui me construit. Et ce n’est pas qu’un mot. Si je n’avais pas eu les mots, si je n’avais pas eu la chance d’arriver à écrire, de faire tenir quelques mots ensemble, et plus tard quelques images, je ne serai pas ce que je suis devenu. Si quand tu écris, si quand tu fais un film, c’est pas vital, alors… je crois que ça n’a pas grand intérêt, c’est au mieux décoratif. Le sujet est peut-être traité, mais qu’est-ce qu’on s’en fout ! J’ai passé plus de vingt ans à essayer de comprendre ce qui se dit dans mes films – ce qui se dit, pas ce que je dis – et j’entrevois un peu. Tu crois dire une chose et c’est autre chose qui se dit. Mais il faut du temps pour s’en apercevoir… Et encore faut-il faire le film. Les films, ce que j’appelle des films, sont tous des autoportraits, des images de soi, ils sont à lire comme des rêves, comme des toiles. Rembrandt n’a fait que des autoportraits, Van Gogh idem, Bacon idem, Cézanne… une pomme de Cézanne, c’est Cézanne. Les tournesols, L’église d’Auvers, la Chambre, c’est Van Gogh, les mêmes coups de pinceau, la même chose qui cherche à se dire toujours, à travers un paysage, une nature morte, un portrait. La chose qui cherche à se dire… moi, je dis autoportrait, on peut utiliser un autre mot.

Regarde Forman, regarde… On est en face de gens qui ne sont pas plus cons que les autres, c’est le système qui les rend idiots, et assassins. Parce qu’au fond, ils ne font que protéger leur petit privilège.…

Il y a deux ans, j’ai fait une note d’intention pour un scénario qu’on proposait à Arte. J’ai eu le malheur de citer Tarkovski pour faire comprendre je ne sais plus trop quoi. Malheur ! le retour a été cinglant, « Non Tarkovski, c’est pas possible. » Arte ! la chaîne culturelle – Arte n’a jamais mis un centime dans un de mes films – Ecoute Forman, il parle d’inculture… écoute l’interview de Langlois dans le bonus de l’Atalante, ce doit être dans les années 70. Il emploie le même mot, « des producteurs incultes ».

Dieu sait que le cinéma a changé depuis les années 70, et le monde… Et rien n’a changé. Quand je raconte cette histoire des gros mots, ou de sujet non traité, on me dit « c’est pas possible ». Si c’est possible, je jure que c’est vrai. Alors, tu vois, c’est sans regrets, la mort dans l’âme oui, mais sans regrets. Je vois des producteurs qui se disent « producteurs indépendants ». Ils sont tous dépendant de la télé, et aujourd’hui des distributeurs. Des producteurs, il n’y en a qu’un, la Télé, le Parti. On est dans un système qui porte un nom, un putain de gros mot, « totalitaire », pas creux pas vide, qui fait son sale boulot. On ne serait pas en démocratie, on dirait censure. Je serais le seul à subir ce régime, je fermerais ma gueule, je dirais c’est le destin ou quelque autre connerie, c’est l’âge… Je n’ai jamais fait de télé, je n’ai pas pu. J’ai dit oui deux fois, et je me suis rétracté. La dernière fois, je me réveillais la nuit en sueur en me disant « tu ne peux pas demander à un acteur de dire ça ! » Je n’ai pas pu. C’est con d’être handicapé à ce point. Mais je suis comme ca, je ne peux pas faire ce qui me paraît faux ou vain ou… creux… J’en tomberais malade, alors j’arrête… j’arrête.

- Tu m’attends une minute ?

José s’est levé, je l’ai vu sortir du Sélect, prendre son téléphone, parler… Ça a duré trois minutes, pas plus, tout juste le temps de finir ma bière. Elle était chaude.

Il est revenu, il s’est assis.

- Qu’est-ce que tu fais à minuit ?

J’ai haussé les épaules.

- Tu as rendez-vous au Flore avec Paulo.

Paulo, je ne l’avais jamais rencontré. Je suis arrivé au Flore, il était là. Tout de suite, il m’a dit « ça m’intéresse de faire un film avec vous ». Il ne n’a pas demandé à lire le scénario ou je ne sais quoi, savoir si j’avais traité le sujet, les gros mots…

- José m’a raconté… Je sais que les télés c’est grillé, mais c’est pas grave. Si vous êtes d’accord, on fera avec ce qu’on aura. Les films pas chers, je sais faire…

Paulo est le premier producteur indépendant que je rencontre. Indépendant, il doit l’être depuis ses vingt ans quand il est arrivé clandestin en France. Il a tenu parole.

La suite est sur l’écran, vous allez le voir, ou vous venez de le voir. Vous aimerez, vous n’aimerez pas, c’est normal. Tout va bien. Paulo m’a sauvé la vie. Ce ne sont pas des mots en l’air. J’ai dédié ce film à Michel Naudy. Michel était un très bon ami, il a mis fin à ses jours le 2 décembre, il était journaliste à France 3, au placard depuis dix sept ans… Nous sommes en France en 2012. Dix sept ans de placard ! avec un salaire, mais sans emploi. Pour lui aussi, être journaliste était vital. J’ai aussi dédié ce film à José. J’aurais ajouté Paulo, Yves Angelo…

Je n’ai pas voulu faire un dossier de presse comme on le fait d’habitude, pas pour me répandre, étaler une galère. Il ne s’agit pas de galère. J’ai une faveur à vous demander, vous, les journalistes, la Presse. Aidez-nous ! Entendez ces mots comme un cri. Faites savoir ce contre quoi on doit se battre. Enquêtez, demandez aux autres réalisateurs – pas quand ils sortent un film, la promo les rend idiots – Fouillez, parlez, je n’ose pas dire, indignez-vous, soyez les Médiapart, les empêcheurs de tourner en rond !

Aidez-nous ! On a besoin de vous pour retrouver un minimum de liberté, et de dignité. Prenez le relais pour que ceux qui sont en charge d’un pouvoir, petit ou grand, pour quelques jours ou quelques années, sachent et cessent de faire n’importe quoi.
Je n’ai pas parlé du film, du fameux « sujet », c’est à vous d’en parler, si le film vous a parlé, si le cœur vous en dit. Sinon, oubliez, ne perdez pas votre temps. Moi, je ne saurais que paraphraser, dire en moins bien, en moins plein. Si je savais dire, je ne ferais probablement pas de film. J’ai tout de même dit que c’est un autoportrait…

Merci.

François DUPEYRON
Juillet 2013

Milos Forman (Au Feu les Pompiers)

Les pressions existent partout, la grande différence, c’est que dans un système totalitaire tel que je l’ai connu, la pression était idéologique, pas du tout commerciale. Si on se conformait à l’idéologie officielle, on pouvait se permettre de dépenser sans compter. Si le film ne marchait pas, ça n’avait pas d’importance. Politiquement, vous étiez correct et ça vous donnait… ils pouvaient vous donner une médaille pour ça.

A l’inverse, ici à l’Ouest, la pression idéologique n’existe pas, pas du tout. Mais la pression commerciale oui, parce que sortir un film est une aventure très onéreuse et ceux qui financent veulent des retombées.

Alors, je vais vous dire honnêtement, je préfère la pression commerciale à la pression idéologique. Parce qu’avec la pression économique tout dépend du goût du public et on trouve toujours un public dont le goût correspond plus ou moins au vôtre. Parfois, c’est un public restreint, parfois plus large. Alors que, lorsqu’on est soumis à la pression idéologique, on est à la merci de quelques idiots. Ils peuvent ne pas être totalement idiots, mais si leur avis sur l’aspect du film ou le message du film ne correspond pas au vôtre, alors vous êtes cuits. C’en est fini pour vous. Alors, je préfère la pression commerciale.